Gérer les conflits : entre risque et opportunité

Abordés de la bonne manière, les conflits peuvent représenter une force motrice pour une équipe. Le CEPIG explique comment adopter la bonne stratégie.

15 Mds € : c'est chaque mois, en France, le coût de la conflictualité en entreprise selon l'Observatoire du Coût des Conflits en entreprise (Enquête OpinionWay, avec All Leaders Initiative et Topics, 2021, confirmée depuis chaque année).

La société se fragmente et les entreprises ne sont pas épargnées. Les déclarations d'intention bienveillantes n'y changent rien, car ce n'est pas de cela qu'il s'agit. A la clé, une considérable destruction de valeur : la désaffection pour les responsabilités managériales perçues comme trop ingrates, l'abandon de projets entrepreneuriaux prometteurs qui se noient dans les conflits de cofondateurs, le développement du stress et des risques psychosociaux, le désengagement et les démissions… mais aussi la perte de productivité, les dysfonctionnements organisationnels et l'explosion des "risques projets".

Dans ce contexte, nous vous proposons 3 pistes pour mieux aborder et traiter les situations difficiles :

  1. En préalable, caractériser le conflit et établir une stratégie : choisir son approche pour ne pas subir, trouver les bons leviers pour manager le conflit… et savoir parfois lâcher prise, car tous les conflits ne peuvent pas se résoudre.
  2. Une compétence centrale à développer : la confrontation positive. Elle consiste à faire de certains types de conflits une opportunité : opportunité d'apprentissage, d'innovation et de résolution ; les conflits sont riches d'un potentiel à exploiter.
  3. En conclusion, un travail de fond à réaliser : recréer du liant et travailler notre "affectio societatis" : retrouver le sens de ce qui nous unit pour mieux aborder les sujets qui nous opposent.

Un préalable : choisir ses combats! Tous les conflits ne peuvent pas se résoudre

Identifier le type de conflit

Tous les conflits ne sont pas de même nature. Du conflit de valeurs au conflit de moyens, on trouve toute une palette de conflits différents dans l'entreprise. Et chacun d'eux nécessite un traitement bien spécifique.

  • Les conflits de valeurs et de personnes nécessitent un important travail de fond pour recréer du liant et refonder la relation. Lorsque vous vous confrontez à des positions de principe, à de profonds chocs de culture, à des inimitiés ou à du "délit de sale gueule"… vous ne pouvez pas espérer simplement remettre la relation sur les rails. Il va falloir prendre du temps, trouver des sujets de convergence… et accepter que, souvent, la conciliation est vaine, voire la réconciliation impossible ; c’est alors le rapport de force qui départage, avec une prime pour celui qui a le plus d’atouts dans son jeu.
  • Les conflits de rôle, d'intérêt ou de finalité sont souvent des conflits de "priorité" et de "prérogatives". Ils nécessitent un travail approfondi de décodage pour identifier les enjeux sous-jacents aux positions de chacun et retrouver un intérêt supérieur commun. Faire émerger les enjeux, c'est par exemple comprendre que, derrière un conflit, il y a souvent des émotions, des perceptions plus ou moins rationnelles de gains ou de pertes potentielles. C'est l'intégration des émotions qui permet de partir à la recherche de solutions qualitatives.
  • Les conflits d'objectif ou de moyen nécessitent de bonnes négociations pour trouver des solutions communes: définir des objectifs, mesurer les intérêts, chercher des solutions alternatives… et éviter à tout prix les mauvais compromis.

Choisir sa posture

Une fois le conflit caractérisé, il est possible d'établir une stratégie. En effet, nous n'avons pas intérêt à aborder tous les conflits avec le même état d'esprit. Dans la plupart des situations, 2 critères sont à prendre en compte : l'attention portée à la relation à l'autre, notre détermination à faire prévaloir notre position. En fonction de l’importance accordée à ces critères, nous avons différentes stratégies actionnables :

 

  • Première stratégie, lorsque nous accordons autant d'importance à la relation qu’à notre position : résoudre. C'est la plus évidente, un conflit mérite d'être explicité et résolu, par l'échange et la coopération, la négociation, l'intégration des intérêts de chacun et la recherche de solutions communes.

  • Deuxième stratégie, lorsque nos positions priment et ne sont pas négociables : imposer. Qu'il s'agisse d'imposer une règle du jeu, de faire prévaloir l'intérêt collectif, de recadrer un comportement inacceptable… une imposition nette et assumée est parfois indispensable. Il ne s'agit pas de résoudre, mais d'imposer, en étant prêt à en assumer les conséquences.

  • Troisième stratégie, lorsque la préoccupation de ménager la relation prime sur tout le reste : renoncer. Nous ne pouvons pas avoir gain de cause sur tous les sujets. Il est parfois préférable de faire des concessions et d'accepter de passer par les vues de l'autre. Ce renoncement doit alors être pleinement assumé : la page est tournée et il convient de ne plus ressasser le sujet à la moindre occasion.

  • Quatrième stratégie, lorsque ni la relation, ni nos positions n'ont d'importance cruciale : lâcher prise et détourner son attention. Tous les combats ne valent pas la peine d'être menés.

  • Cinquième stratégie, lorsque la douleur est encore trop vive : préparer le terrain. Certains conflits ne sont pas mûrs. Les tentatives de résolution sur une situation encore trop vive sont condamnées à l'échec. Il est parfois préférable d'aborder le conflit de biais et de recréer progressivement les conditions d'un échange serein.

  • Sixième stratégie, lorsqu'il s'agit de sortir d'un tête-à-tête destructeur : la médiation. Le recours à un tiers maximise les chances de réalimenter l'échange et de parvenir à une solution sans se blesser. Il s'agit d'une solution ponctuelle.

  • Septième stratégie, lorsque l'échange est stérile : l'arbitrage. Dans l'entreprise, le recours à la décision de l'autorité légitime est une solution à ne pas négliger. Il nécessite d'assumer ensuite la décision prise.

Réhabiliter le conflit et rendre la confrontation positive

Si la conflictualité peut faire d'importants dégâts, la confrontation a pourtant du bon : confrontation productive de points de vue, dialogue contradictoire exigeant, challenge mutuel pour aller plus loin, explicitation des positions de chacun, compétition pour gagner… Paradoxalement, la confrontation positive et productive est un bon antidote à la conflictualité lorsqu'on s'y entraîne et qu'elle devient une "hygiène relationnelle". Elle empêche les mauvais consensus qui font le lit des conflits et force à trouver des intérêts communs et à résoudre. Google avait même fait de "discord and decide" (d'abord confronter les points de vue, puis décider) un principe de management. Comme l'a démontré Linda Hill, d'Harvard, les organisations les plus performantes et les plus innovantes du monde sont des organisations qui valorisent et entraînent leurs membres à la confrontation positive.

Connaissez-vous l'histoire de Jar Binks dans Star Wars? Chez LucasArts, on raconte que seule Marcia, l'épouse de Georges Lucas était capable de se confronter à lui sur ses idées de scénario. Lorsqu'elle le quitta, plus personne n'avait l'envie de jouer ce rôle de sparring partner exigeant. Lorsque l'imagination de Lucas fit naître le personnage de Jar Binks, tout son entourage était convaincu que ce personnage n'était pas une bonne idée. Personne ne lui a dit. Personne ne l'a challengé. Le personnage le plus détesté de l'univers Star Wars était né.

4 figures inspirantes pour faire du conflit une opportunité de confrontation positive

Grande pionnière du conseil en ressources humaines et en management, Mary Parker Follett fut la première à attirer l'attention de tous sur les bienfaits d'une saine confrontation. Selon elle, la confrontation est la meilleure voie vers l'intégration des points de vue dans des solutions intelligentes et à valeur ajoutée. Elle permet d'échapper à deux écueils : la domination et le rapport de force d'une part, le consensus mou et frustrant d'autre part. Consciente des limites de cette approche, elle en définit les frontières : le conflit ne peut devenir productif qu'à condition de chercher ensemble des objectifs communs, un intérêt supérieur commun. Lorsqu'une confrontation tourne au conflit de personne, le risque de basculer dans l'agressivité destructrice, passive ou active, est au plus haut.

Mary Parker Follet nous enseigne à…

  • Poser la question de l'intérêt supérieur commun : que voulons-nous tous les deux?
  • Identifier les enjeux sous-jacents aux positions de chacun : qu'est-ce qui est vraiment important pour chacun?
  • Explorer des solutions créatives qui intègrent les enjeux et permettent de sortir du cadre.

Dans son sillage, une multitude de psychologues, comme les Dr Bach et Goldberg au Canada, ont étudié par le menu comment l'inhibition de l'agressivité pouvait nous consumer et générer des débordements, contre nous-mêmes ou contre les autres : de "faux gentil" à "vrai méchant", il n'y a qu'un pas. Leur analyse des "meurtriers gentils", qui étouffent leurs émotions jusqu'à saturation, est saisissante. L'agressivité peut-elle devenir une force constructive? C'est leur conviction, à condition d'apprendre à l'exprimer : s'affirmer, s'opposer, donner des feedback, exprimer ses émotions… Conscients eux aussi des limites de cette approche, ils en définissent les contours : l'expression de l'agressivité devient contreproductive lorsqu'elle nous enferme. Il ne peut s'agir que d'une étape, circonscrite dans le temps, pour passer à autre chose.

Les Dr Bach et Goldberg nous apprennent donc à…

  • Oser exprimer nos émotions, sans en accuser les autres, de façon simple et authentique
  • Apprendre à pousser des "coups de gueule" ponctuels, non pour s'y enliser, mais pour mieux rebondir et éviter les trop pleins
  • Réapprendre à s'opposer et à affirmer de façon simple nos points de vue, pour éviter l'excès d'acceptation

Reste à savoir "comment" exprimer les choses : et là, les sciences cognitives ont beaucoup à nous apprendre. Dans leur ouvrage de référence Comment mener les discussions difficiles, Douglas Stone, Bruce Patton et Sheila Heen nous partagent le résultat de leurs recherches appuyées sur des données incontestables : passer de la volonté de convaincre à la volonté d'apprendre, appréhender les 3 niveaux auxquels se jouent les discussions difficiles (factuel, émotionnel, identitaire), faire la chasse aux sous-entendus pernicieux, éviter les emballements et s'arrêter à temps… autant de repères utiles au quotidien.

Douglas Stone nous enseigne donc :

  • À repérer les situations d'emballement pour s'arrêter à temps, faire un "stop" et repartir de l'avant
  • À distinguer et à aborder 3 niveaux de discussion : la discussion factuelle ou circonstancielle (ce qui se passe concrètement, factuellement), la discussion émotionnelle (les émotions de chacun, les ressentis et interprétations), la discussion portant sur les enjeux (souvent implicites)
  • Eviter les sous-entendus pernicieux et les implicites qui détruisent les fondements de la relation.

Enfin, last but not least, Linda Hill, d'Harvard a pris comme sujet d'étude les équipes les plus performantes du monde: équipes olympiques, équipes créatives des studios Pixar, cellules de l'armée israélienne… Son constat est implacable : les équipes les plus performantes sont celles où l'on se confronte le plus et le mieux pour construire. Le débat intellectuel, le dialogue contradictoire, la compétition, lorsqu'ils sont tournés vers l'action nous poussent à déplacer des montagnes. Encore faut-il s'éduquer progressivement à la confrontation, pour dépasser la susceptibilité personnelle, apprendre la résistance à la frustration et susciter autour de soi une confrontation de qualité.

Linda Hill nous apprend donc enfin à :

  • Réapprendre la "joute" et retrouver le goût du débat et de la confrontation, en l'encadrant et en la légitimant
  • Créer des espaces de dialogues contradictoires, qu'il s'agisse de mieux manager les risques ou d'innover
  • Laisser l'ego de côté et dépersonnaliser les débats

Retrouver du liant et réapprendre à construire ensemble

Si "rendre la confrontation productive" est un premier pas, une sorte d'hygiène de performance, il est parfois nécessaire d'aller plus loin : comment recréer du liant et nous reconnecter les uns aux autres dans des environnements pressants où se confrontent des intérêts contradictoires? Autrement dit, dans un environnement professionnel, comment cultiver notre "affectio societatis", cette intention commune de s'associer, malgré les difficultés? Comment retrouver cette intention de collaborer pour réussir ensemble qui nécessite une participation active, une loyauté réciproque, un engagement au service de l'intérêt commun?

Sans cette affectio societatis, la confrontation vire trop souvent au conflit stérile, et finit par déraper dans le conflit de personne ou de valeur. Avec cette affectio societatis, la confrontation devient productive : la qualité de la relation sert d'encouragement au challenge mutuel.

3 ingrédients permettent de cultiver cette affectio societatis, ou de la refonder au sein d'une équipe.

Premier ingrédient : recréer des moments de réussite, de complicité ou de convivialité qui jouent ensuite un rôle d'ancrage positif. Le rappel de moments forts partagés ensemble joue un rôle d'amortisseur relationnel, à condition de le nourrir régulièrement. Le souvenir positif passé aide à aborder plus sereinement les difficultés présentes.

Deuxième ingrédient : partager un cadre et quelques règles du jeu communes. Cela nécessite d'agir ensemble et de créer des espaces d'échange, des modalités de régulation ou de feedback et des rituels réguliers de résolution de problème. Mais aussi de les encadrer et de respecter les règles du jeu.

Troisième ingrédient : partager des critères et des modalités de reconnaissance. Antidote au conflit de valeur, il s'agit de s'accorder sur ce qui a vraiment de l'importance pour nous et sur la façon dont la valeur ajoutée de chacun est reconnue par les autres.

Au final, l'enjeu de la conflictualité est de taille pour les entreprises : nous faisons tous quotidiennement le douloureux constat que le « politique » peine à nous rassembler. C'est donc à nous de nous prendre en charge et de recréer l'affectio societatis nécessaire pour travailler et réussir ensemble, fiabiliser nos organisations, et gagner conjointement en sérénité, en qualité de confrontation et en performance

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